Les yeux et les oreilles de la mer

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Les yeux et les oreilles de la mer

Mailys QUERU, Etudiante Agrotic 2022/2023

               Consœur de la technologie GNSS, Argos offre l’avantage de s’affranchir des contraintes du milieu. En effet, si les balises GPS, qui rappelons le, fonctionnent sur le principe de triangulation du signal en lien avec des satellites, sont adaptées aux milieux ouverts, elles le sont très peu dans des milieux dits « contraints », comme une forêt dense ou le milieu marin par exemple. La technologie Argos se base quant à elle sur l’effet Doppler, et permet ainsi de s’affranchir des contraintes du milieu, ce qui explique qu’elle soit de plus en plus utilisée dans des projets scientifiques impliquant le milieu marin. Ainsi, les belugas sont couramment équipés de balises Argos. En novembre dernier, la société CLS, producteur majoritaire de balises Argos, a publié un retour très positif de l’utilisation de ces balises. En effet, il a pu être montré que les belugas étaient sensibles aux bruits des bateaux qui traversent leurs eaux [1]. La figure 1 représente notamment la trajectoire d’un beluga (en noir) et celle de trois navires (en rouge, orange et violet). Les flèches correspondent au déplacement du navire dans le cas où le beluga a réagi avec un comportement d’évitement.

Figure 1a : Déplacement d’un beluga et de trois bateaux
Figure 1b : Profil de déplacement d’un beluga à proximité d’un bateau

               Sur le profil de plongée, on peut notamment voir que lorsque le bateau se trouve relativement proche de l’animal, celui-ci effectue brusquement un mouvement latéral et plonge davantage en profondeur, en revenant à sa position initiale après le départ du bateau.

               Mais la technologie Argos peut permettre d’aller plus loin ! Depuis peu, CLS a développé un nouveau type de balises spécialement adaptées aux baleines, intégrant la récupération des données de plongée, et ce, pendant plusieurs mois [2]. Ces balises nouvelle génération disposent également d’un logiciel permettant de compresser les données et de les transmettre en temps réel, permettant ainsi de s’affranchir de la récupération de la balise. Ainsi, la balise permet aux scientifiques d’accéder à de nouvelles données, et notamment au comportement de prédateur des baleines : l’accéléromètre situé dans la balise indique en effet un déplacement rapide et un grand volume d’eau avalé par l’animal.

               L’entreprise Telonics a également développé ce type de balise adapté aux baleines, en collaboration avec un projet de recherche de l’université de l’Oregon, aux Etats Unis [7]. En premier lieu, le modèle utilisait le commutateur d’eau salée pour distinguer les plongées et les remontées, et les données étaient envoyées via le système Argos. Cependant, le logiciel du traitement des données issues de l’accéléromètre n’était pas encore développé. Un second modèle a donc été développé : un capteur de pression a été ajouté, et un algorithme de détection des mouvement a été développé afin de traiter les données recueillies. L’algorithme produit un résumé des données, portant notamment sur la durée de la plongée, la profondeur maximale, et le nombre d’évènements comportementaux détectés. Ces résumés sont ensuite transformés en message et transmis par Argos.

               La balise ressemble aux autres balises couramment utilisées sur des baleines depuis 1997, et présentée en figure 2. Elle est composée d’une antenne, d’un corps principal et d’un embout de capteur externe. La taille de la balise est de 18,5 cm de long et 2 cm de large. L’émetteur Argos émet sur une fréquence opérationnelle de 401,650 MHz ± 30 kHz ; l’autonomie de la balise est assurée par une batterie au lithium. La durée de vie de la balise est estimée à 188 jours en cas de transmission 24 heures sur 24, et un taux de répétition de 45 secondes.


Figure 2 : Design de la balise RDW développé par Telonics

               Les performances de la balise ainsi développée sont également très bonnes : en effet, la profondeur de la plongée est estimée à plus ou moins 2m jusqu’à 200m, et plus ou moins 1% pour des profondeurs plus importantes. L’accéléromètre tri-axial enregistre des données avec une précision de plus ou moins 0,003G sur une plage de -2 à 2G (G est une unité d’accélération qui correspond environ à l’accélération de la pesanteur sur Terre).

                Récemment, un package R nommé « Argosfilter » [4] a été publié, afin de traiter les données provenant de balises Argos. Ce package dispose de différentes fonctions, comme la fonction « distance » qui permet de calculer la distance orthodromique (distance minimale entre deux points) entre des coordonnées, ou encore la fonction « seal » qui permet de traiter des données spécifiques aux phoques.

                Néanmoins, si le déploiement des balises Argos a permis une meilleure connaissance des déplacements des individus, notamment des cétacés, il reste une difficulté : les animaux doivent être capturés, ce qui nécessite une étude et des connaissances préalables sur leur présence. Pour palier cela, les scientifiques tentent aujourd’hui d’utiliser une technologie assez répandue dans la vie courante en détournant son utilisation : la fibre optique ! [5] Une université Américaine a en effet rendu possible la détection acoustique des vocalises des baleines bleues, les plus grands mammifères mais aussi parmi les plus difficiles à étudier, à l’aide des câbles de télécommunication sous-marins [3]. La méthode que présentent ces chercheurs permet d’enregistrer des vocalises sous-marines dans un rayon de 120km du câble de la fibre, aussi bien le long d’un fjord qu’en haute mer. Mais cela ne s’arrête pas là ! Grâce à cette méthode et en utilisant le principe de triangulation, il est possible d’estimer la position d’une baleine et donc la densité.

               Auparavant, des hydrophones étaient utilisés pour enregistrer les vocalises de ces animaux. Mais cela nécessitait d’aller installer ces balises au fond de l’eau, puis de les récupérer afin d’en extraire les enregistrements, sans certitude de la présence de cétacés dans la zone d’étude. Cette méthode est néanmoins toujours utilisée ; pas plus tard qu’en novembre dernier, des plongeurs sont allés récupérer les hydrophones immergés dans le port de Cavalaire depuis le mois d’aout [6]. L’avantage principal de l’utilisation de la fibre optique comme appareil de bioacoustique est que les câbles sont d’ores et déjà déployés et couvrent la quasi-totalité de la surface immergée, et ce depuis plus de 40 ans. Mais alors, qu’est ce qui a induit ce nouvel usage aujourd’hui ? La possibilité d’accéder à de plus hautes fréquences ! Le principe est le suivant : une impulsion est envoyée depuis la côte vers la fibre optique. Un bruit dans l’océan provoque un nano déplacement des particules contenues dans la fibre, retardant le retour de l’onde. Cette information peut ensuite être traduite en mesure de contrainte, et interprétée comme une donnée bioacoustique.


Figure 3 : principe de fonctionnement du Distributed Accoustic Sensing (DAS), l’usage de la fibre optique comme outil de bio acoustique

               Si la qualité des données est légèrement moins bonne qu’avec un hydrophone, ceci est compensé par l’étendue spatiale des données recueillies. Par ailleurs, il n’est possible d’appliquer la méthode que sur les premières dizaines de kilomètres de la fibre, l’impulsion étant rapidement bloqué par les récepteurs et la puissance limitée du signal. Cette méthode inédite, et non intrusive, a notamment permis de découvrir une population de baleines qui résiderait à l’année à proximité des côtes de la Nouvelle Zélande . Cela remet donc en cause l’idée selon laquelle les baleines bleues migrent pour se reproduire, mais offre de nouvelles perspectives de recherche pour les années à venir !

Sources :

[1] ARGOS SYSTEM. Les bélugas évitent le bruit des navires [en ligne]. 17/11/2022 – Disponible sur https://www.argos-system.org/fr/les-belugas-evitent-le-bruit-des-navires/ (dernière consultation le 12/12/2022)

[2] ARGOS SYSTEM. Une nouvelle balise pour enregistrer les comportements de plongée des grandes baleines [en ligne]. 28/09/2022 – Disponible sur https://www.argos-system.org/fr/nouvelle-balise-pour-enregistrer-comportements-plongee-grandes-baleines/ (dernière consultation le 12/12/2022)

[3] BOUFFAUT Léa et al. Eavesdropping at the Speed of Light: Distributed Acoustic Sensing of Baleen Whales in the Arctic. Frontiers in Marine Science, 9 (Juillet 2022). https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmars.2022.901348

[4] FREITAS Carla. Argos Locations Filter (Octobre 2022). https://cran.hafro.is/web/packages/argosfilter/argosfilter.pdf

[5] MAYER Nathalie. Ils écoutent les baleines avec la fibre optique [en ligne]. 17/09/2022 – Disponible sur https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/animaux-ils-ecoutent-baleines-fibre-optique-100731/#xtor%3DRSS-8 (dernière consultation le 09/12/2022)

[6] N.SA. Des oreilles à l’écoute de la faune sous-marine sur le littoral du Golfe de Saint Tropez [en ligne]. 05/11/2022 – Disponible sur https://www.varmatin.com/environnement/des-oreilles-a-lecoute-de-la-faune-sous-marine-sur-le-littoral-du-golfe-de-saint-tropez-805469 (dernière consultation le 13/12/2022)

[7] PALACIOS D.M, IRVINE L.M, LAGERGUIST B.A et al. A satellite-linked tag for the long-term monitoring of diving behavior in large whales. Anim Biotelemetry 10 (Aout 2022). https://doi.org/10.1186/s40317-022-00297-9